Le rap à la rescousse de la langue comorienne
L’évolution du rap aux Comores montre une transition intéressante d’une forme d’expression en langue française à une pratique de plus en plus centrée sur la langue comorienne. Dans les premières années de l’introduction du hip-hop dans le pays, les artistes se sont appuyés sur la langue française, car elle était la langue d’enseignement et de communication la plus répandue, mais surtout en raison de l’influence de la culture rap française.

Cependant, les rappeurs comoriens ont ressenti le besoin de se tourner vers leur langue maternelle afin de toucher plus directement le public comorien. Cette transition traduit une volonté d’appropriation de la culture hip-hop, tout en lui conférant une authenticité propre au contexte local. Des figures majeures comme Cheick Mc ont marqué cette évolution, influençant plusieurs générations de rappeurs à travers des textes en langue comorienne (shikomori).
Cheick Mc, souvent considéré comme l’effigie du rap comorien, s’est distingué par une écriture axée sur le récit. Malgré une maîtrise affirmée des outils littéraires, la majorité de ses textes – pour ne pas dire tous – relatent le quotidien difficile de la population comorienne et expriment ses prises de position face aux gouvernements en place. Son talent pour manier la langue et exprimer les réalités sociales a permis d’ancrer le rap comorien dans une musique plus engagée et connectée au vécu de son public.
En parallèle, une autre école du rap comorien s’est développée, proposant une approche plus diversifiée de la langue, enrichie de nouvelles influences et techniques. Parmi ses figures de proue, on retrouve des artistes comme Azam Mungana, Victorious Awax et AST.
Azam Mungana se démarque par un rap plus expressif et ancré dans les sonorités comoriennes. Il rappe en shikomori avec une articulation et une intonation naturelles, loin d’une influence francophone souvent perceptible chez certains artistes. Son style reste fidèle aux codes et aux sonorités de son environnement quotidien, adoptant une approche proche du “rap de village”, au sens mélioratif du terme. Il s’agit d’une authenticité déterminant son style propre entant qu’artiste. Il se distingue par des punchlines aiguisées et une écriture rigoureuse, caractéristiques majeures de cette nouvelle vague d’artistes.
AST, lui, pousse encore plus loin le concept des punchlines en s’inspirant directement des expressions populaires du langage courant. Il dit dans
« ……» ,
Il les retravaille dans ses textes, leur donnant une dimension percutante et originale, contribuant ainsi à enrichir cette école du punchline dans le rap comorien.

Victorious Awax, quant à lui, adopte un style plus fluide et accessible, avec un shikomori clair et maîtrisé, teinté d’une certaine musicalité littéraire. Son approche oscille entre rap et chant, privilégiant des mélodies travaillées et des instrumentales épurées.
Dans un long post facebook, le rappeur à affirmait d’ailleurs ceci :
Aux Comores, ceux qui affichent une volonté de rompre avec l’ordre (culturel) établi en sont souvent les meilleurs gardiens. Ça va de l’activiste culturel ou artistique au jeune slameur qui se lance en passant par le petit rappeur énervé.
En tant que rappeur et aussi pour éviter que l’on me prenne par le col, je m’attarde ici sur mes cousins les slameurs.
CERTAINS slameurs comoriens donnent l’impression que leur « truc » c’est concourir à qui parle le mieux comme un septuagénaire. Usage calculé de mots qui ne sont plus d’usage. Une tonalité et un rythmique dignes des assemblées politiques du temps des sultanats. Choix de sujets qui souvent ne sont d’aucune urgence actuelle. Ils veulent célébrer la mémoire. Une mémoire qui n’est même pas leur. Je ne vois pas ce que de telles performances prouvent, sinon que l’on a fidèlement assimilé la vieille tradition oratoire de « Mbae Trambwe ».

Contrairement à Azam Mungana, qui cherche à explorer de nouvelles sonorités et à diversifier la musicalité de son rap, Victorious Awax reste dans une simplicité maîtrisée, où chaque mot résonne avec justesse.
Cette diversité d’approches illustre l’évolution du rap comorien, qui ne cesse de s’enrichir à travers ces différentes influences. Certains, comme Cheick Mc, puisent directement dans l’héritage musical comorien, intégrant des éléments instrumentaux traditionnels à leurs compositions. D’autres, à l’image d’Azam Mungana, cherchent à redéfinir les contours du genre en lui apportant une dimension plus moderne et métissée.
Malgré leurs différences stylistiques, ces artistes participent activement à l’essor du rap comorien, en renouvelant sans cesse les codes du genre tout en restant fidèles à leur langue et à leur culture. Une scène en perpétuelle mutation, où chaque artiste contribue à écrire une nouvelle page de l’histoire du hip-hop aux Comores.
L’effort de ces gardiens de la langue de Mbae Trabwe contribue à élever le statut de la langue comorienne dans le monde du hip-hop et au-delà. Qui aurait cru que le mouvement autrefois artistique dénigré par les anciens deviendrait un moyen de préserver leur langue, permettant ainsi de mieux les comprendre en les écoutant ?
Aujourd’hui, le rap aux Comores est devenu un moyen puissant de discuter des défis sociaux et politiques auxquels la société comorienne est confrontée. Les artistes utilisent leur musique pour aborder des sujets pertinents, allant de l’identité culturelle à l’engagement civique. La montée des réseaux sociaux et l’accès accru aux plateformes en ligne ont également joué un rôle crucial dans l’atteinte d’un public plus large et dans l’échange d’idées entre les artistes et les fans.
Ainsi, l’évolution du rap aux Comores reflète une transformation de la musique en un outil d’expression authentique et percutant, ancré dans la langue et la culture comoriennes. Cela témoigne d’une scène musicale dynamique et en constante croissance, prête à aborder les défis actuels et futurs de la société comorienne.