Opinion

Le Rôle de la Critique dans la culture comorienne

De nos jours, le secteur artistique prend de plus en plus d’importance aux Comores, se transformant en véritable profession. De nombreux artistes parviennent désormais à vivre de leur art, ce qui représente une avancée significative par rapport au passé où cela était moins fréquent. Cependant, tout le monde n’a pas l’expérience nécessaire ou la connaissance des codes pour évoluer efficacement dans ce domaine complexe. Certains artistes, d’ailleurs, peinent à distinguer un label d’un studio d’enregistrement. Ce n’est pas un jugement. Selon moi, c’est normal. Il faut du temps pour tout comprendre dans ce monde nouveau pour eux, et surtout complexe. Il me semble que c’est d’ailleurs dans ce sens que le slameur Soulé Antoiyi Abdou affirmait sur son mur Facebook :

À un moment, il faut que les artistes comoriens cessent de confondre studio d’enregistrement et label.

Beaucoup de jeunes rejoignent ce cercle artistique compliqué et ne maîtrisent pas toujours les subtilités du secteur. Ils peuvent croire à tort que la création artistique consiste simplement à recevoir des applaudissements de tous, sans remettre en question leur travail. Cela peut être problématique, car ils s’entourent souvent de personnes qui ne sont pas critiques de leurs œuvres, même si ces dernières présentent des faiblesses. Au lieu de recevoir des critiques constructives, ils obtiennent souvent des compliments superficielles, ce qui peut mener à la publication d’œuvres incomplètes ou bâclées.

Il est important que les choses changent à cet égard. Les artistes doivent être honnêtes avec eux-mêmes et rechercher des avis constructifs, qu’ils proviennent de proches ou d’experts dans le domaine. Cela leur permettra d’atteindre un meilleur niveau de qualité dans leurs œuvres et de progresser dans cet univers artistique en constante évolution.

Le talent ne suffit pas à lui seul. L’artiste doit réfléchir, se remettre en question et rechercher des conseils externes pour créer des œuvres complètes et abouties. Il est crucial d’avoir un entourage bienveillant, mais aussi capable de fournir des critiques constructives. En fin de compte, cela contribuera à l’épanouissement des artistes et à l’amélioration de la Scène artistique Comorienne.

D’où la nécessité, aux Comores, de former des journalistes spécialisés dans la critique artistique et littéraire. Il s’agirait de professionnels impartiaux, comme l’exige la déontologie du métier, dotés des connaissances nécessaires pour produire des analyses pertinentes et approfondies. Il est temps de réduire le nombre d’articles purement informatifs, tels que les comptes rendus et les annonces d’événements, au profit de critiques construites et argumentées.

Mettons-nous d’accord : le critique artistique n’est pas nécessairement plus talentueux que l’artiste, mais il possède, grâce à son expérience et à sa connaissance du domaine, une expertise lui permettant de porter un regard éclairé sur une œuvre. Après avoir exploré de nombreuses productions similaires, écouté, lu et assisté à divers projets, il est en mesure d’évaluer ce qui a été réussi et ce qui pourrait être amélioré.

Le rôle du critique n’est pas d’être malveillant, mais d’apporter un regard éclairé sur la carrière d’un artiste et son avenir. Le critique met en lumière ce qui a fonctionné dans un projet, ainsi que ce qui a besoin d’être ajusté, dans le but de rendre l’œuvre plus accessible au grand public.

En expliquant clairement ce que l’œuvre cherche à transmettre, le critique aide à révéler ses forces et ses faiblesses, permettant ainsi à l’artiste de s’améliorer pour ses futurs projets.

 

 

Sommes-nous vraiment prêts à faire de l’art, sachant qu’on ne peut pas parler d’une vraie pratique de l’art sans critique artistique ? Les artistes comoriens se sentent-ils prêts à accueillir les critiques et les remarques sur leurs œuvres sans traiter les critiques d’art, ces journalistes de haineux, de jaloux ou de personnes de mauvaise foi ?

Il est également important de se rappeler qu’une critique ne se limite pas à faire des remarques générales. Elle doit contenir des détails précis qui exposent, d’abord, ce qui est considéré comme faible dans le projet, mais aussi ce qui est considéré comme fort ou pertinent. Une critique constructive propose également des solutions ou des alternatives, comme par exemple comment un aspect de l’œuvre pourrait être amélioré ou quelles approches pourraient être adoptées.

Nous nous rappelons tous de la polémique autour de la sculpture du cœlacanthe réalisée par l’artiste Ali Mroivili, alias Napalo Mroivili, immense peintre comorien, sur le mur du stade de Malouzini. À ce sujet, le journaliste de la presse écrite nationale Al-Watwan, Mahdawi Ben Ali, déclarait :

Après le slogan “Ici, c’est Malouzini !”, inspiré de celui du Parc des Princes à Paris et déjà largement commenté, les dirigeants du plus grand stade des Comores ont enfoncé le clou en exposant un cœlacanthe sur la façade d’entrée. Cette création, réalisée par l’artiste Napalo, est loin de faire l’unanimité parmi les habitués des lieux, dont certains expriment ouvertement leur colère, qualifiant l’œuvre d’“indigne du poisson légendaire comorien et symbole de toute une Nation”. 

En reprenant l’exemple du cas Napalo, bien que certaines critiques pertinentes aient été formulées, d’autres manquaient de fondement. Au risque de se répéter, une véritable critique artistique doit analyser en détail les points forts et les points faibles de l’œuvre, la comparer à d’autres créations similaires et proposer des pistes d’amélioration.

Par ailleurs, une critique positive doit s’appuyer sur des exemples concrets, en mettant en lumière ce qui a été particulièrement réussi, l’originalité de l’œuvre ou encore l’évolution de l’artiste par rapport à ses réalisations précédentes. Se limiter à des jugements superficiels comme « c’est bien » ou « ce n’est pas bien » n’apporte aucune valeur et ne contribue en rien au développement de l’art.

Pour accompagner et structurer l’émergence d’un véritable paysage artistique — et non celle d’un simple horizon 2023 sans véritable politique culturelle —, il est essentiel de produire des critiques claires, argumentées et approfondies. Cela permet d’éviter les commentaires stériles ou perçus comme des attaques personnelles et d’encourager un échange constructif qui favorise la progression des artistes ainsi que du domaine culturel dans son ensemble.